Sur cette page, seront regroupés des témoignages sur le Dr Emile Bitar, témoignages émanant de personnalités l'ayant
connu et ayant suivi aussi bien son itinéraire politique que son itinéraire d'homme. Ces témoignages sont des extraits
d'articles de presse, retranscription de discours ou d'emissions télévisées, ou encore des hommages rendus lors de séances
commémoratives ou à d'autres occasions...
Les auteurs de ces témoignages sont des hommes d'Etat, des autorités politiques, religieuses
ou du monde médical, ainsi que des journalistes et analystes politiques.
Seront disponibles les
témoignages de Marwan Hamadé, Edouard Honein, Ghassan Tueni, Karim Bitar, Rachid Solh, Fouad N. Boustany, Joseph Nasr,
Joseph Moghaizel, Laure Moghaizel, Fouad Daaboul, Sami Minkara, Antoine Abdel Massih, Cardinal Antonios Khoreiche, Gedeon
Mohasseb, Edgar Gedeon, Phares Zoghbi, Edouard Bassil, Marc Riachi, Charles Helou, Ibrahim Traboulsi, Samir Atallah,
Nassir Barbir, Edouard Saab, Lucien Dahdah, Michel Salhab, Jean Ducruet, Kamal Joumblatt, Joseph Khalil Asmar, Fouad
Badawi, Daoud Sayegh, Kesra Bassil, Victor Mendelek, Antoine Ghossein, Mohammad Houmani, Camille Chamoun, Antoine Habis,
Bassem El Jisr, Imam Moussa el Sadr, Rachid Karamé, Antoine Habis, Albert Moukheiber, Sleiman Frangie, Cardinal Nasrallah
Sfeir, Jean Ducruet, Daher Merhi Richa, Emile Abi Nader, et quelques autres.
Cette page reprendra aussi d'autres formes d'hommages, plus originaux, comme le poème composé par le grand écrivain
libanais Saïd Akl, intitulé "La bataille héroïque", rendant hommage à l'attitude d'Emile Bitar durant
la bataille des médicaments, ainsi que les paroles de la chanson du compositeur de Zajal Zaghloul el Damour,
intitulée "Emile Bitar, le médecin qui pourrait guérir les blessures du Liban."
Ghassan Tuéni, qui fut doublement son collègue, son collègue
au ministère, et son collègue dans la démission, retrace ici l'itinéraire d'Emile Bitar et revient sur la portée et l'utilité
de son message pour l'avenir du Liban :
Le docteur Emile Bitar... un symbole, quasiment plus puissant que
l'homme lui-même, qui est passé dans le ciel de la politique libanaise, et qui a laissé un exemple. Mais la guerre est venue
effacer, hormis le souvenir, toute marque qui n'était pas synonyme de violence, et qui n'utilisait pas la violence comme vecteur
de changement. Certains ont cru, à tort, qu'il rejetait la politique, qu'il ne cherchait plus à influencer le cours des choses.
Comme s'il était désabusé. Mais c'était tout le contraire...
*
Le président Sleiman Frangie, au tout début de son mandat, à tenté
de promouvoir une nouvelle classe politique, qui n'était ni issue de la vieille politique traditionnelle, ni à la tête d'un
quelconque groupement ou milice.
Lorsqu' Emile Bitar s'est vu appelé au palais présidentiel lors
de la formation du gouvernement, il est arrivé avec son attaché case de médecin. Il pensait que le président était malade.
En raison d'une vieille rivalité nordique entre les familles Bitar et Frangié, il n'imaginait pas que le président Frangié
puisse surmonter cette hostilité et le nommer au gouvernement, dans sa quête de jeunes ministres. Et on répondit à Emile Bitar
que personne au Palais n'était souffrant, que le malade dont on voulait lui confier la charge était ... le Liban! Ou du moins,
la santé publique au Liban, dont on lui confia le ministère.
*
Emile Bitar ne s'est pas précipité pour accepter. Il expliqua longuement
que bien que ne faisant pas partie de la classe politique traditionnelle, il avait néanmoins des positions politiques, et
des points de vue très clairs en ce qui concerne le domaine de la santé publique.
Emile Bitar, de par sa conscience professionnelle de médecin, de
par son honnêteté intellectuelle s'est senti obligé de prévenir le président de la République et le premier ministre, qu'il
avait beaucoup d'idées novatrices, beaucoup de projets de réforme, et que ces projets risquaient d'entraîner le gouvernement
dans certaines confrontations avec des intérêts puissants, confrontations que peu de gouvernements ont envie de mener.
"Carte blanche", lui a-t-on-dit. "Vous êtes nommé ministre. Usez
de vos prérogatives..."
Emile Bitar usa de ses prérogatives de ministre...
Et il advint ce qu'il advint...
Et un jour est venu où Emile Bitar fut contraint de choisir
entre deux options distinctes : soit il reste au gouvernement, mais alors il ne serait plus Emile Bitar tel qu'en lui-même,
soit il choisit Emile Bitar, c'est-à-dire qu'il choisit de rester fidèle à lui-même, fidèle à ses idées, fidèle à ses engagements.
Emile Bitar a alors décidé de rester fidèle à lui-même et
de quitter le pouvoir.
De la même manière qu'un autre ministre, qui à l'éducation nationale,
avait choisi, lui aussi, de tenter sa révolution pacifique.
Parce que l'Etat n'avait pas compris qu'il était nécessaire de mettre
en oeuvre les réformes avant qu'il ne soit trop tard.
Et c'est alors que vint la guerre.
*
La question que pose le souvenir d'Emile Bitar est donc
la suivante : "Dans l'avenir du Liban, entendra-t-on les voix de ceux, prêtera-t-on attention aux voix de ceux qui à l'instar
d'Emile Bitar, lorsqu'ils verront poindre une guerre ou une révolution violente , tenterons de l'éviter en promouvant une
révolution pacifique ?
Ou alors tout changement nécessitera-t-il le recours à la violence
aveugle, qu'il faudra détruire complètement le régime, parce que ce régime refusera toute réforme politique, toute réforme
de l'esprit ?
L'autre image d'Emile Bitar, que je n'oublierai jamais,
est celle de l'homme qui a vaincu toutes les tentations, qui à résisté à toutes les tentatives de le corrompre, - et comme
elles furent nombreuses ! -, qui ne s'est pas enrichi. (...)
C'est un exemple qui mérite d'être toujours mentionné pour compléter
l'image de ce que fut Emile Bitar, le représentant d'une nouvelle classe politique,
d'une génération, d'une école, d'une noblesse, la noblesse de ceux qui sont sortis vainqueurs de leur expérience au pouvoir,
la noblesse de ceux qui n'ont pas cédé aux tentations lors de leur passage au gouvernement, la noblesse du refus véritable,
le refus de la violence, le refus du recours à la violence, le refus de voir la violence s'insérer et pervertir toute chose.
Cette noblesse représentée par Emile Bitar aurait dû être, et elle doit être, le chemin vers l'avenir du Liban."
Ghassan Tueni
Emile Bitar, la voie de l'avenir, An Nahar, Jeudi 11 février
1988
*
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Marwan Hamadé |
Marwan Hamadé, ministre, député, représentant le gouvernement
libanais :
Nous sommes aujourd'hui réunis pour rendre hommage à un grand patriote
et humaniste, qui a servi son pays en lui donnant toute l'énergie de sa jeunesse, qui a soigné les maladies de son peuple
et en a pansé les plaies avec son travail acharné, sa grande expérience, son esprit humaniste qui a empreint toutes ses actions
d'une touche apostolique, qui selon lui devait être celle du médecin, de son rôle et de son message. Ce martyr de l'humanisme,
c'est Emile Bitar.
Emile Bitar est issu de cette belle région libanaise de Batroun,
il est né et a été élevé à Tripoli, capitale du Liban Nord. A Tripoli, il a fait ses études primaires et a été témoin de la
vie en commun de tous ses habitants. Il a ainsi appris, par la pratique, que Batroun était la capitale du Liban Nord, Tripoli
sa capitale, que le Nord était une entité indivisible, et une partie essentielle de ce Liban uni. L'unité du Liban
était l'objectif essentiel du Dr Emile Bitar, un objectif qui le hantait en permanence. Cest aussi la hantise de
la famille d'Emile Bitar, de la foule de ses partisans, de la foule de ses fidèles et de ses alliés à Batroun, à Tripoli,
et sur l'étendue du territoire de la République, du Nord au Sud, des régions côtières jusquaux plus hautes montagnes. A la
faculté de Médecine où il enseignait, à l'Hôpital Hôtel Dieu de France où il dirigeait le service de rhumatologie, dans son
métier de médecin, Emile Bitar a pris conscience des souffrances du peuple Libanais, de l'ampleur de la crise sociale, une
crise sociale qui n'a jamais distingué entre un Libanais et une autre, ni par la religion, ni par la confession ou la communauté,
une crise sociale qui touchait la plupart des régions libanaises, qui concernait aussi bien des quartiers de Beyrouth et de
Tripoli que des régions entières comme Batroun, le Akkar, le Hermel, le Chouf, Nabbatié et Bint Jbeil
Et c'est autour d'Emile Bitar et de cette question sociale
que le peuple Libanais s'est uni, ce peuple qui s'est souvent divisé en fonction des ingérences étrangères s'est unifié contre
les marchands du temple et ce sont ces marchands du temple qui ont contribué à éloigner Emile Bitar du pouvoir, de peur qu'ils
ne soient tous balayés par la révolte du peuple uni et par la justesse de ses revendications sociales.
C'est pour lutter contre le malaise démocratique, contre cette fracture
dangereuse qui menaçait d'ébranler les structures du Liban qu'Emile Bitar, ayant de par son itinéraire, de par ses relations,
de nombreuses pistes et moyens pour remédier à cet état de fait s'est engagé en politique à travers son parti, le Parti Démocrate.
Pour le Parti Démocrate, les deux principaux enjeux pour la politique intérieure étaient la démocratie et la laïcité. Et c'est
là en effet le coeur de la question intérieure libanaise, après qu'ait été tranchée la question de l'identité par un accord
entre l'ensemble des Libanais.
Je ne voudrais pas rentrer dans les détails et dans le fond de ce
qu'Emile Bitar entendait par démocratie et de ce qu'il entendait par laïcité, mais je voudrais affirmer aujourd'hui qu' Emile
Bitar en tant qu'homme politique a choisi le meilleur chemin pour guérir le Liban de ses nombreuses maladies politiques et
sociales.
Emile Bitar était l'exemple, le symbole, la quintessence
de l'intégrité, de l'honneur, de la dignité, de l'engagement au service des intérêts nationaux. Ce sont ces qualités qu'il
démontré en tant que ministre. Dans ce gouvernement et avant, Emile Bitar était la voix phare de la jeunesse libanaise, la
voix qui portait, qui symbolisait, qui exprimait dans leur profondeur les aspirations, les craintes et les espoirs de la jeunesse.
Emile Bitar fut l'exemple de l'homme d'Etat qui étudiait ses dossiers avec le plus grand soin, avec sérieux, avec responsabilité,
avec rigueur scientifique. Ce fut particulièrement le cas dans le dossier des médicaments, qu'il fut le premier ministre
à oser aborder avec l'esprit d'un expert en connaissant les tenants et les aboutissants, avec la responsabilité d'un Homme
d'Etat qui place l'intérêt du peuple et l'intérêt de la Nation au dessus de tous les intérêts personnels et catégoriels, avec
l'esprit dun responsable engagé au service des citoyens et soucieux de garantir à tous une vie dans la dignité, un accès aux
meilleurs soins.
Pour toutes ses raisons, Emile Bitar était le premier leader
populaire dans cette période, et il demeure jusqu'à nos jours la référence et la figure la plus populaire. Car dans le long
registre de ceux qui ont occupé des postes de responsabilité, et j'en suis un, nous pouvons très rarement citer un nom qui
brille et se distingue. A part Emile Bitar qui fait partie de ceux, très rares, qui viennent effacer de l'histoire des gouvernements
libanais toutes les tâches et les indignités, et elles sont fort nombreuses, et permettent ainsi de sauver l'honneur d'une
génération politique toute entière.
Et si je n'avais qu'une seule ambition et qu'un seul espoir dans
mon action politique, ce serait de ressembler ne serait-ce qu'un peu, d'approcher ne serait-ce que de loin, le palier d'excellence
fixé par Emile Bitar, de suivre son exemple, de me conformer à ses principes et à sa façon d'exercer la politique. C'est dans
cet esprit que je m'efforce de ressusciter le Bureau National des Médicament, tombé dans l'oubli après le mandat d'Emile Bitar,
et de ressusciter son initiative de création d'un carnet de santé et d'une carte hospitalière, qui permettrait d'assurer au
Libanais l'accès aux soins dans la dignité.
Peut-être pour ces raisons, se sont alliées contre Emile Bitar les
forces occultes, les forces ennemies qui oeuvrent pour le maintien de l'Etat-ferme, qui oeuvrent dans l'intérêt de tous
les petits et mesquins clientélismes. Et je voudrais dire aujourd'hui, en cette occasion précisément, et du coeur de Batroun,
que la chute d'Emile Bitar dans sa lutte populaire contre les monopoles n'était pas pour lui une défaite personnelle, c'était
un échec pour le peuple tout entier, et ce fut là une des raisons principales qui ont conduit à l'effondrement et à l'embrasement
de cet Etat-ferme et c'est ainsi que le Liban est tombé dans une guerre atroce, dont nous connaissons les horreurs et catastrophes
qu'elle a provoqué. Et je voudrais t'assurer, Emile, que s'il a semblé que les valeurs de la démocratie avaient disparu avec
le début de la guerre, toutes ses valeurs pour lesquelles tu as lutté seront le socle sur lequel nous bâtirons le Liban nouveau,
car la paix ne pourra pas durer et ne se maintiendra pas si nous ne revenons à ces principes essentiels qui étaient
les tiens.
Aujourd'hui, cher collègue disparu, si le gouvernement a donné à
cet Hôpital de la région de Batroun ton nom si aimé du peuple, c'est parce quil est nécessaire d'endosser tous tes principes
et de lutter pour que triomphent tes valeurs, pour que triomphe et se répande la démocratie dans son sens le plus large, pour
que naisse cette nouvelle république a laquelle tu rêvais, une République pour tous, où règneraient la justice, l'équité,
la compétence. C'est en rappelant incessamment ton exemple que nous pourrons faire disparaître de notre pays les mentalités
guerrières, que nous pourrons apprendre à nos générations montantes à se battre comme tu l'as fait. Pour ces nouvelles générations
sur lesquelles nous comptons, le nom d'Emile Bitar restera comme une fierté pour le passé et un phare pour l'avenir.
Marwan Hamadé, ministre
*
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Rachid El Solh |
Rachid El Solh, premier ministre, évoque Emile Bitar en ces termes :
Si nous devions résumer Emile Bitar en deux mots, nous dirions qu'il était
l'"intègre courageux". Les mots ne suffiraient pas si nous devions énoncer toutes ses qualités et distinctions.
D' Emile Bitar le ministre, nous retenons une référence. Son attitude
vis-à-vis de la chose publique était différente des autres auxquelles nous sommes malheureusement habitués, une, attitude
inédite au Liban.
Emile Bitar croyait fermement en un Liban un et uni, en la coexistence
des communautés religieuses. Bien qu'ayant été élevé dans des écoles chrétiennes, celle des frères à Tripoli et celle des
Jésuites à Beyrouth, bien qu'ayant fait ses études universitaires à Montpellier en France, Emile Bitar n'oubliait jamais dans
ses orientations et son esprit le monde arabe auquel le Liban appartient.
Dès son retour au Liban en 1961, il commença à traiter dans les
journaux et magazines la situation politique dans le pays, notamment la politique de santé, la Sécurité Sociale et la Réforme
administrative. Ses écrits exprimaient un véritable intérêt pour la chose publique, doublé d'une noblesse d'âme et d'un désintéressement
dans le service de l'intérêt national. Cette noblesse d'âme l'incitait à prodiguer soins et services à de très nombreux citoyens,
qu'ils soient souffrants physiquement ou qu'ils aient besoin d'un tout autre service.
Emile Bitar a vite remarqué un déficit dans la pratique démocratique
au Liban, dans les relations entre le citoyen et le pouvoir. C'est alors qu'il fonda le Parti Démocrate, qui fut une expérience
réussie et frappante dans la vie politique libanaise. Et cette expérience aurait pu réussir dans la durée si la guerre n'était
pas survenue pour le détruire, comme elle a détruit le Liban et bien des Libanais.
Emile Bitar était l'un des plus célèbres et éminents libanais à
mettre en garde contre le danger que pouvaient représenter les ambitions des puissances au Liban, et il
fut l'un des Libanais qui ont le plus poussé à l'édification d'une unité nationale solide qui puisse prémunir le Liban des
dangers extérieurs, il fut le Libanais qui a montré le plus d'entrain et d'enthousiasme pour réussir cette tâche impérieuse.
Il était fidèle à lui même et à ses opinions. C'est ce qu'il a montré
en démissionnant sans regret du gouvernement, car l'essentiel pour lui était de défendre les intérêts des citoyens, des malades,
des usagers du système de santé, de mettre un terme à des escroqueries dont les Libanais étaient les victimes, de trouver
une solution qui soit dans l'intérêt de tous.
Avant de mourir, Emile Bitar disait : lorsqu'au Liban le
verbe aura retrouvé ses droits, lorsque les armes se seront tues, lorsque les mots auront de nouveau un sens, nous reviendrons
en politique et les Libanais s'exprimeront de nouveau. Le malheur du Liban a fait qu'Emile Bitar est tombé dans le
silence éternel avant que les armes ne se taisent et le Liban fut ainsi privé des ses idées et de ses prises de position.
Sa mémoire, toutefois, est indélébile dans les coeurs et les consciences des Libanais car il fut l'homme intègre et l'homme
courageux.
Je voudrais remercier le gouvernement et Marwan Hamadé pour l'hommage qu'ils lui
rendent, car les Libanais ont une très lourde dette envers Emile Bitar.
Rachid El Solh, ancien premier ministre et député de Beyrouth
*
Professeur Fouad Boustany, président de l'Ordre des Médecins :
Nous voyons aujourd'hui Emile Bitar dans les traits de ses enfants,
Wakim et Karim, nous le revoyons à travers ses étudiants, à travers ses amis. Nous le retrouvons en relisant ses écrits. Le
souvenir d'Emile Bitar demeure très présent. Son nom va désormais s'inscrire sur le fronton de cet hôpital de Batroun qu'il
a fondé. Son souvenir restera présent dans les cours de tous ceux qui travaillent dans cet hôpital, comme dans tous nos cours.
Et dans tous nos esprits.
Si nous souhaitons rester fidèles à Emile Bitar et à son message
qui perdure, nous devons continuer à travailler la main dans la main, nous devons, comme lui, porter sur chacun de ceux qui
nous approchent un regard amical et bienveillant, nous devons travailler dur pour conserver le caractère sacré de notre mission,
nous devons ouvrir nos cours à l'autre, nous délivrer de l'esclavage des intérêts personnels. C'était là le principal message
d'Emile Bitar et ce doit être notre mission, c'est ce flambeau que nous devons continuer de porter bien haut dans nos consciences.
Cest le meilleur moyen d'apaiser notre douleur de l'avoir perdu et de rendre hommage à sa mémoire.
*
Au lendemain du décès d'Emile Bitar, Samir Atallah, journaliste et
analyste politique au Nahar et au Mustaqbal, publie ce texte empreint d'amertume :
(...)
Le grand drame d'Emile Bitar est qu'il
était Libanais. Dans n'importe quel autre pays du globe terrestre, Emile Bitar aurait été au premier rang. Mais Emile Bitar
était Libanais.
Dans un pays comme le Liban, y-a-t-il
une place pour un homme comme Emile Bitar ?
Ce pauvre peuple qui en sait tant
sur la géopolitique, les conflits internationaux et les conflits régionaux, ce peuple qui discute en permanence de conférences
internationales, du problème du Moyen-Orient, de la concommittance ou non concommittance des volets national et régional,
ce pauvre peuple peut-il écouter le message d'un homme comme Emile Bitar ?
(...)
Emile Bitar était de ces oiseaux qui
passent à travers le ciel du Liban et meurent de chagrin.
Un homme qui n'avait d'autre parti
que le rêve, d'autre dogme que le pardon, qui n'avait d'autre soldats que ses champs d'oliviers de Kfifane. Un homme qui rêve
lors d'une nuit d'été d'un Liban qui serait aussi beau que son ciel bleu. Un Liban où il y aurait beaucoup d'étoiles et beaucoup
de lumière. Un Liban qui aurait beaucoup de diversités mais aussi et surtout un Liban très uni !
Mais quand Emile Bitar se réveille
de ce rêve, il se rend compte que le ciel est rempli de vautours, que l'horizon est lugubre et que le peuple, sans rechigner,
se fait conduire à l'abattoir!
Emile Bitar prend alors son rêve entre
ses bras et passe son chemin sans gêner personne.
Emile Bitar était le premier homme
qui a tenu au peuple libanais un langage de vérité. Il dit à ce peuple "grandiose" : Ils t'abreuvent de discours fleuves,
d'analyses et de verbiage. Ils t'en font voir des vertes et des pas mûres. Il approfondissent ta tombe. Ils te privent de
ton droit à la dignité et à une vie décente. Commençons à travailler ! Commençons quelque part, commençons par le médicament.
Le pays n'est-il pas malade parce que le citoyen est malade ?
(...)
Une montagne de rêves, de principes,
de morale, de calme, de bienveillance du coeur...
(...)
Mais on a oublié le message d'Emile
Bitar, premier ministre de la Santé dans l'histoire du Liban, et l'on est allé à la guerre.
Et le peuple a recommencé à écouter
les longs discours sur la géopolitique, sans en rater aucun !
(...)
Comme d'autres, Emile Bitar a tenté
d'avoir recours à l'action politique. Et ils étaient comiques, lui et Joseph
Moghaizel et Bassem El Jisr, trois intellectuels qui rêvaient de construire un parti politique dans une jungle, au pays de
toutes les féodalités et de toutes les allégeances. Un parti où chacun pourrait se retrouver, où chacun aurait sa place, un
parti qui pardonne, un parti qui rêve, qui embrasse, qui écrit, qui lit, qui soigne... Ou çà ? Au Liban !!!
(...)
Comment un homme de la stature d'Emile
Bitar, de la politesse d'Emile Bitar, comment un homme aussi fin qu'Emile Bitar peut-il appeler parti politique un tel rassemblement
de rêveurs ? Je l'ignore .
Le siège du parti n'était pas éloigné
de la clinique d'Emile Bitar. Et le siège du parti d'Emile Bitar était comme la clinique d'Emile Bitar. Chacun y entrait avec
ses soucis et en ressortait soulagé. Quant au médecin lui même, il vivait avec les soucis.
Emile Bitar était avant tout un rêveur.
Emile Bitar rêvait les autres. Il rêvait tout simplement. Rêver pour rêver. Le Liban rêvé. Des médicaments pour les pauvres
et les nécessiteux. Un Liban arc-en-ciel. Le Liban comme un grand vase qui contiendrait
toutes les fleurs du Liban. Qui contiendrait tout le Liban. Le Chrétien arabe et le Musulman libanais. Et tous unis dans un
Liban indépendant, dans un Liban libre . Tous seraient des citoyens qui vivraient dans la dignité et ne subiraient plus les
humiliations, ni l'humiliation de ne pas pouvoir se payer leurs médicaments, ni l'humiliation des vautours qui rôdent autour
du ministère de la Santé. Et Emile Bitar fut en fait le premier véritable ministre que la Santé a eu au Liban.
Mais Emile Bitar était
dans une vallée et ce peuple "grandiose" était dans les festivals oratoires. Tantôt on lui dit qu'il est le créateur de l'alphabet
et que par conséquent il doit se faire tuer, tantôt lui dit-on qu'il est à l'avant-garde
du nationalisme arabe et que par conséquent, il doit se faire assassiner. Emile Bitar était partisan de l'autre solution,
de l'autre choix, le choix de la vie ! Hier, Emile Bitar est mort.
Samir Atallah, journaliste, politologue
*
Emile
Bitar dans la mémoire du peuple, par Antoine Abdel Massih, Al Mustaqbal
(...)
L'homme du Rif de Batroun s'est levé,
seul parmi les dirigeants, et a mené une guerre impitoyable aux accapareurs des médicaments.
L'unique
bataille sociale qui a eu lieu dans l'histoire du Liban contemporain a pour héros un seul homme, qui s'appelle Emile Bitar.
(...)
Emile Bitar n'était pas de ses ministres
qui se contentent de signer les décrets, de traiter les affaires courantes, il n'était pas de ceux qui placent leurs hommes
et leurs partisans dans les services du ministère.
Sa toute première décision fut d'annuler
le "certificat d'indigence", qui était obligatoire pour toutes les personnes souhaitants e faire soigner dans les hôpitaux
publics.
Quand les monopoles ont tissé leur
toile d'araignée et ont engagé la lutte contre Emile Bitar, le peuple libanais, le peuple tout entier, s'est tenu aux côtés
du ministre courageux.
Il
n'était ni maneuvrier ni arriviste, ni démagogue. Il était ouvert, partisan du dialogue et de la négociation, décideur, cultivé,
intègre.
Et
à chaque fois qu'approchaient les élections présidentielles, Emile Bitar était l'outsider, et le peuple se souvenait de lui.
Emile Bitar restera dans la mémoire
du peuple libanais, tant que ce peuple qui souffrira de privations, d'humiliations, d'injustices...
Antoine Abdel Massih
*
Les
rêves fous, par Laure Moghaizel
Les principes du Parti démocrate,
n'étaient-ce pas des rêves fous ? Ce Liban pour tous, sans distinction aucune , notamment de sexe, de religion, d'origine
sociale ou de fortune, nous l'avions déjà réalisé avec toi et en miniature au sein même du Parti où nous luttions ensemble,
à égalité, hommes et femmes, chrétiens et musulmans, nantis et moins nantis.
Ce Liban qu'en est-il aujourd'hui
?
Ce
Liban où le frère tue son frère, ce Liban régi par la terreur, dominé par la violence, ce Liban où sont piétinés, chaque jour,
les droits les plus élémentaires de l'être humains. Ce Liban là, Emile, tu ne pouvais que le quitter.
Toi
le plus pur d'entre les purs, toi pur et dur, tu ne pouvais que t'en accommoder, tu n'as jamais admis le compromis.
Ministre de la Santé, tu avais engagé,
contre les forts, a bataille des médicaments, dans l'intérêt des faibles.
Bataille inégale, car se sont liguées
contre toi toutes les forces de l'argent et de la puissance.
Mais tu ne pouvais fléchir.
Le
pouvoir étant pour toi, non pas une fin en soi, mais un moyen, tu as quitté le pouvoir, délibérément, consciemment, volontairement.
En
connaissons-nous de nombreux exemples dans la vie politique de notre pays ?
Entre les forts et les faibles, tu
n'as pas hésité.
Tu es revenu vers les faibles, leur
prodiguant ta science, ta sollicitude et cette "qualité" de l'humain en toi.
Ton départ, Emile, rend infinie notre
douleur déjà si grande
Mais Emile, nous ne voulons pas pleurer
comme "ceux qui sont sans espérance".
Nous
sommes certains que nos rêves, si fous soient-ils, ne sont pas vains.
Ce
pays, qui peut produire de belles figures comme la tienne, ne saurait mourir. Et de cette terre où reposent tes cendres, renaîtra
un jour un pays où l'être humain ne se sentirait plus exclus.
Laure
Moghaizel
*
Emile
Bitar, un pur dans la jungle, par le Professeur Fouad N. Boustany, L'Orient Le Jour, 9 février 1988
Depuis deux ans, notre collègue et ami Emile Bitar regardait la mort en face. Elle venait, en dedans de lui, par un mal
implacable qui nous arrache, l'un après l'autre, les gens que nous aimons. Elle venait à lui à pas lents, qui ne faisait vaciller
ni son courage ni sa lucidité. A sa manièree et jusqu'aux deniers jours de sa vie il représentait pour nous, dans notre monde
agité, où tout tourne si vite -hommes et valeurs-, un point d'équilibre. Et ce sont des amis, chancelants de douleur, qui
le pleurent aujourd'hui.
Emile Bitar était un homme qui alliait l'érudition la plus sûre à un sens très
poussé de la totalité. Ami loyal et fidèle, camarade délicieux, collaborateur infatigable, travailleur acharné, et surtout
médecin d'une dimension exceptionnelle. Bienveillant et discret à l'hôpital,
il avait été pris pendant quelques années de sa vie sous les feux des projecteurs. Ministre,
la grande presse et l'audiovisuel l'avaient soudain découvert. Il s'est plié de bonne grâce, avec une souveraine sobriété
à leurs exigences, dont il a fini par s'amuser. C'esr durant ces années -de la traversée de la jungle-, comme il aimait à
dire, que l'on a vu l'homme d'Etat redoutable et redouté, percer sous le savant. On n'oubliera pas de si tôt ses positions
inébranlables quand sa conviction était fondée. Ces feux éteints, il a repris le collier avec encore plus de courage.
Il a réappris à aimer la médecine.
Aimer la médecine, qui jamais mieux que lui a su donner le vrai sens à ce mot là ? Cet amour d'autre chose que
de lui-même, cet amour de "l'autre'' qui coulait dans ses veines jusqu'aux dernières secondes. Longtemps encore, ses collègues
à l'hôpital vont buter sur son ombre, chaque matin. A chaque réunion, à chaque discussion, Emile Bitar sera présent parmi
eux, affectueux, rigide, plein de rigueur pour lui même et débordant d'indulgence pour les autres. Il fut et reste parmi les
plus grands.
Dire l'accablement
de ses confrères à l'annonce de sa mort est chose banale. L'avoir perdu si vite, en plein rayonnement, les forcera à réunir
leur volonté et leur vie contre la maladie et la douleur. Le message de sa vie sera entendu.
Pour nous,
ses amis, le poids croissant du vide qu'il va laisser ne cessera de stimuler de mieux en mieux notre instable existence, et
c'est ce qui adoucit peut-être notre peine. Notre fidélité à sa mémoire, nous ne la laisserons pas courir mais nous
la porterons à bout de bras, comme un enfant chéri, parce qu'elle ne nous impose que dignité, vertu et don de soi. Son sommeil
de toujours nous aidera à notre réveil chaque matin. "Les morts gouvernent les vivants".
C'est aux deux
bouts de l'échelle du savoir qu'Emile Bitar aura été un grand médecin : par la rigueur de l'érudition et la hardiesse de la
pensée.
Libre désormais est son âme. Fini les soucis rongeurs, les amertumes et les déceptions. Fini aussi
les victoires. Un doux ramage, avec lui, monte vers celui qui est le Salut et la Lumière.
Dr
Fouad N. Boustany
*
La
recherche d'un idéal, par le Professeur Edgar Gédéon
Je l'ai rencontré pour la première
fois il y a vingt-cinq ans. C'était au cours d'une assemblée générale de l'Ordre des médecins. Il parlait avec calme et assurance.
Il semblait rechercher un vérité qui lui était chère, un idéal qui le tourmentait. (...)
Au ministère de la Santé,
il insufflait un esprit de travail, de probité et de courage. Combien d'embûches a-t-on semé sur le chemin de cet idéaliste
qui voulait planifier, organiser et réformer? Combien de difficultés a-t-on fait surgir devant cet homme intègre? et combien
de tentations ?
Le combat médical de chaque jour lui
semblait insuffisant. Il fallait penser à ce pays déchiré. Toujours épris de son idéal, Emile Bitar, avec quelques amis, fondait
le parti Démocrate. Il l'avait voulu un grand creuset où devaient se fondre toutes les confessions libanaises. Un creuset
où seuls l'emporteraient le devoir et le travail bien fait.
(...)
Dans cette recherche de soi
et de l'identité, il avait découvert que rien ne pouvait se faire sans un retour aux sources. Il entreprit alors d'étudier
les fondements de l'histoire de la médecine au Liban, et de retracer les péripéties de son itinéraire et ses premiers balbutiements.
La Société Libanaise de l'histoire de la médecine a eu ainsi en lui un fondateur et un pionnier
Rechercher l'idéal(...), cet idéal,
le trouvera-t-il enfin, aujourd'hui, dans cet autre monde où il s'est envolé.
Professeur
Edgar Gédéon
*
La
Rigueur et le Coeur, par Maître Phares Zoghbi, L'Orient-Le Jour
C'était peut-être pour lui le temps de la moisson -occulté il est vrai par le temps de la guerre-, après toutes les
semailles qu'il a mises en terre.
Il appartenait à ses rares
personnes qui se sont rendues compte que le Liban dansant sur un volcan, glissait en dehors de l'Histoire.
Et ces quelques uns se
sont attelés, chacun à sa manière à le mettre sur les rails.
Médecin et professeur, il a selon, l'heureuse
formule de Mounier, allié la rigueur de la recherche et de la pratique à la tendresse du coeur.
Ministre de la Santé, il s'est attaqué à un problème
aussi insoluble que la quadrature du cercle, celui de mettre les médicaments au niveau des petites bourses. Il n'a pu résister
aux assauts conjugués des monopoles qui se sont encore une fois liguées contre lui
Il aura gardé jusqu'à la fin de sa courte vie
un sens de l'exigence qu'il portait fièrement et sans concession dans le domaine de la science comme dans le domaine politique.
Avec un coeur qui ne battait que pour les plus
petits.
Phares Zoghbi
*
Article
de Lucien Dahdah, ancien ministre des Affaires Etrangères, dans Arabies, mars 1988, L'homme du mois
Une Vie, une Exemple...
Tu es parti en me disant d'avertir
ton frère que tu ne serais plus des nôtres désormais.
Chacun de ceux qui t'ont connu t'a
porté une affection profonde, à la mesure de toutes ces qualités qu'il distinguait en toi. Tu as été le seul Libanais que je connaisse à faire l'unanimité autour de lui : aucun son de cloche discordant n'est
venu ternir cet exemple que tu as forgé, toute ta vie durant.
Aujourd'hui je voudrais dire
à tous ceux qui ne t'ont pas connu ce qu'a été Emile Bitar, pour qu'elles puissent puiser, à ton exemple, leur ligne de conduite.
Déjà, ton grand-père bravait
les préjugés de sa famille : il abandonnait honneurs et fortune pour repartir à zéro, fonder la dynastie des Bitar de Kfifane.
Ton père, député de Batroun (Nord-Liban) devait -bien avant le modèle
chinois-, débarrasser sa région d'un fléau agricole, en mobilisant les foules.
Ce courage, ce sens de l'intérêt public dont tu as hérité sont venus s'ajouter aux qualités propres que tu as développées,
en un demi-siècle de vie.
Je t'ai connu avant l'adolescence
: tu détonnais en classe par ton exquise politesse, et la gentillesse qui émanait de toi. Je t'ai connu adolescent, où tu
militais déjà, dans une action catholique tous azimuts.
Je t'ai connu jeune homme participant activement à la création de mouvements politiques destinés à susciter
un Liban nouveau, qui aurait évité à notre pays les drames d'aujourd'hui. Je t'ai connu dans ta maturité déclinant un portefeuille
ministériel, en attendant d'obtenir l'accord du Parti Démocrate auquel tu appartenais.
Je t'ai connu ministre de la
Santé, bravant avec courage les intérêts et la puissance de ceux qui profitaient indûment des "marges" des produits pharmaceutiques.
Je t'ai connu médecin, sacrifiant
ton repos, ton bien-être, ta santé, pour soulager autrui. Je t'ai connu dans ta vie de tous les jours, avec ton épouse et
tes enfants : tu as su remplir sans défaillance tes engagements de mari et de père.
Sur chacun des parcours de ta vie, il faudra puiser et diffuser ton message, pour que
le Liban de demain puisse produire d'autres Emile Bitar.
Adieu l'Emile... On se reverra
dans cette vie éternelle à laquelle tu croyais. On se reverra dans les nouvelles générations qui suivront ton exemple.
A ceux qui ne pourront pas surmonter
leur douleur, je voudrais dire la plénitude ressentie. Il nous a comblés. Tous ceux qui l'ont connu lui disent merci.
Lucien Dahdah, ancien ministre
des Affaires Etrangères
« Les
Libanais ont aimé Emile Bitar, dont ils ont apprécié les qualités, les positions et l'itinéraire. Certains l'ont connu de
près, d'autres ont suivi son action comme citoyens, et tous avaient en lui une grande confiance et ont apprécié en lui le
ministre, le défenseur des droits des citoyens, et le démocrate d'une trempe comme il n'y en a plus de nos jours. Cet
homme, les Libanais l'ont érigé en exemple d'homme d'Etat, et ils auraient tellement souhaités que les gouvernants d'aujourd'hui
sinspirent de cet exemple.»
As Safir
*
Au lendemain de la démission d'Emile Bitar, Marc Riachi, le célèbre chroniqueur
et éditorialiste du Nahar écrit sous le titre : La victoire du mur d'argent :
"Elle est belle cette démocratie !
Après qu'Emile Bitar ait obtenu la confiance du parlement sur sa politique, le
Conseil des ministres ne l'a pas soutenu dans sa tentative de guérir les carences du système d'importation des médicaments.
Emile Bitar a démissionné et sa démission fut acceptée.
Emile Bitar qui fut un ministre excellent et fut cohérent avec lui-même, et fidèle
à ses convictions, convictions qui étaient précédemment soutenues par le pouvoir, Emile Bitar a présenté sa démission et n'
a pas cédé, n' a pas reculé sur le principe alors que tous les autres ont cédé et reculé. Tous ceux qui l'avaient préalablement
soutenus. Il a démissionné alors que d'autres sont restés, cherchant à justifier le fait qu'il restent, alors qu'Emile Bitar
n'a pas cédé sur ses principes et sur ces convictions. Et il a quitté le ministère.
Le fait est que cette aventure de Bitar, cette opération qui consistait à se heurter
de front au mur d'argent était observée attentivement par l'opinion. Si l'opinion le soutenait, elle ne pensait pas moins
qu'il s'agissait d'une aventure qui ne réussirait pas à briser le mur d'argent et les monopoles. Mais Bitar a continué à affronter
le mur d'argent et a quitté le gouvernement car il a refusé de capituler, de lever le drapeau blanc et de se rendre au mur
d'argent.
Emile Bitar quitte le gouvernement la tête haute car il fut le premier
à affronter le mur d'argent et à s'y cogner la tête sans que sa tête ne se brise. C'est le gouvernement tout entier qui s'est
brisé même s'il reste.
Le mur d'argent a enregistré plus d'une victoire sur ces "idéalistes" comme Emile
Bitar qui ont cru qu'il était possible de briser ce mur d'argent tout en préservant le système politique.
Et la démission de Bitar donne un nouvel argument à ces révolutionnaires qui pensent
qu'il ne peut y avoir de réformes dans le cadre du système actuel et que le mur d'argent sera toujours plus fort que ces utopistes,
quelque soit leur degré de pureté, qu'il n'y a pas de compromis possible, que l'on ne peut que céder et se soumettre.
Depuis le décret 1943, le chapelet s'est étiolé et Emile Bitar est resté
debout comme un roc jusqu'à ce qu'on l'abatte et alors il est parti dans la grandeur, en héros et avec lui se sont évanouis
tous les espoirs des défavorisés, des pauvres, des humbles, et avec lui s'est évanouie la dernière opportunité de protéger
et de sauver le système tout en libérant du mur d'argent.
Et bien sûr, Bitar a démissionné mais le gouvernement reste, car ce gouvernement
est prêt à tout sacrifier pour rester en place.
Marc Riachi
*
Discours de M. Joesph Abi Saleh, directeur général de la Santé au Ministère
de la Santé et des Affaires Sociales
Messieurs,
En cette séance, consacrée à la mémoire du Professeur Emile Bitar, je prends la
parole avec hésitation. Que puis-je en effet dire, en quelques minutes, que vous ne connaissiez déjà sur l'homme, le médecin,
le ministre de la santé, l'historien de la médecine, le Professeur, le membre d'un parti politique. Mort dans la force de
l'âge, il avait eu le temps d'étonner par ses multiples facettes. Gênant pour d'aucuns jusqu'à susciter leur inimitié, admiré
par d'autres jusqu'à emporter leur adhésion et leur attachement, il a imposé à tous son respect.
Il se distinguait par un abord calme, gentil, souriant et des fois affable, avec
souvent une certaine réserve sinon une timidité. Pourtant il a laissé, après son mandat de 14 mois comme ministre de la santé
l'image d'un homme dur, fort de ses positions, décidé et décideur, impatient des résultats, promoteur et artisan des réformes,
ne reculant pas devant la polémique, allant jusqu'à invectiver la magouille.
De quoi était-il trempé et inspiré ? A-t-il légué un message durable ?
Il me semble que pour répondre judicieusement à ces interrogations, il faut d'abord
savoir d'où il vient.
Dr Emile Bitar vient des régions que je connais bien puisque j'en viens aussi,
celles des pentes du Batroun qui en sont restées au crétacé calcaire et qui se livrent aux habitants en relief tourmenté et
en terre sèche, rocheuse, dénudée et pauvre. Ne s'y développent bien et sans labeur que les papillionacées que le paysan doit
perpétuellement combattre et remplacer pour assurer la toilette de son environnement et la productivité vivrière de ses terrains
en terrasses.
A l'image de notre paysan, Dr Emile Bitar s'est distingué par une dureté
au labeur, une clarté dans le jugement et surtout une absence totale de promiscuité intellectuelle et de compromission morale.
Par ailleurs, issu d'un milieu paternel et maternel rompu à la politique et aux grandes charges publiques, il ne s'est trouvé
ni fermé au réalisme, ni facile à désarçonner.
Son comportement comme Ministre de la Santé illustre ce que nous venons de relater.
Dans cette charge il a justifié ses déterminants et ses choix, et par dessus tout sa foi religieuse et humanitaire. Il ne
pouvait être moins ou autrement inspiré et dévoué que ces deux surs, consacrées au service des autres dans un ordre religieux
né dans cette même région du Batroun qui, au surplus, continue à être pour cet ordre et le port de ses amarres et l'explication
de ses caractéristiques.
D'un service public qu'est le Ministère de la Santé et dont la meilleure
performance consiste à se conformer à l'horaire des six ou huit heures, le ministre Dr Emile Bitar a voulu faire un service
au public, dynamisé et en perpétuelle alerte, capable de répondre à tout moment aux exigences de la prévention aussi bien
qu'aux besoins des malades et à la fonction de l'enseignement. Dépensant sa vigueur des 39-40 ans, ayant acquis l'allégeance
et l'attachement des meilleurs de ses fonctionnaires, s'étant entouré d'une équipe dévouée, il a activé la vaccination, planifié
les centres périphériques et les hôpitaux des chefs-lieux, nommé des agents locaux de santé, créé l'Ecole des infirmières.
Il s'est battu contre toutes les barrières administratives pour arriver à faire fonctionner les hôpitaux publics 24h sur 24,
et leur donner la qualification d'hôpitaux d'enseignement. Il a réussi. De même il a réussi à éliminer de la liste des conditions
de l'hospitalisation aux frais du Ministère de la Santé, le certificat humiliant et douloureux de l'indigence.
Mais le combat pour lequel il a été le plus reconnu, c'est celui des produits
pharmaceutiques. On dit que la violence, ici, tient au fait que ce combat était mené contre, non plus des textes, mais des
hommes. ()
Messieurs,
Il est temps que je m'arrête pour poser la question suivante : le ministre,
Dr Emile Bitar a-t-il en démissionnant et depuis sa démission, perdu la bataille ? Je réponds par la négative.
S'agissant notamment des produits pharmaceutiques, et malgré le grave délabrement
dont a pâti l'administration publique depuis 1975, nous constatons que la tarification continue à se faire sur des bases établies
par lui-même. L'index très détaillé continue à paraître. Le ré-enregistrement périodique est devenu un objectif auquel sont
maintenant acquis les importateurs eux-mêmes; des projets de loi en ce sens ont été déposés à plusieurs reprises
Joseph Abou Saleh, directeur général du ministère de la Santé
*
Le
point de vue d'Edouard Honein, in La Revue du Liban
Le Dr Emile Bitar ne fut pas un ami d'enfance. Il n'a pas grandi dans mon village, n'a pas étudié dans mon école, ne s'est
pas abreuvé aux mêmes sources universitaires que moi. Il est originaire de Batroun, au Nord. Je suis de Baabda, dans le Metn.
Nous n'étions pas, Emile Bitar et moi, dans les rangs d'un même parti. Il avait fondé, avec ses compagnons, le Parti démocrate,
tandis qu'avec mes compagnons, j'avais rejoint le Bloc National pour demeurer proche de l'un de ses fondateurs. Puis il a
étudié la médecine et a brillé dans son domaine, tandis que je me suis dirigé vers le droit, et j'ai ensuite travaillé dans
le domaine du droit et du journalisme.
Pourtant, depuis
que je l'avais rencontré, je me sentais, auprès de lui, aussi reposé qu'avec l'un de mes compagnons de route : Fadel Saïd
Akl, Fouad Haddad (Abou-Henn), Negib Dahdah, Kabalan Issa El Khoury, Michel Asmar, Rouchdi Maalouf, Salah Labaki, Georges
Skaff.
Je retrouvais en lui quelque chose du Dr Ayoub Tabet et du Amid Raymond Edde, quant à la force de caractère,
à la détermination, à l'entêtement, au sacrifice dans l'intérêt public, à l'honnêteté.
Le Dr Emile Bitar
a pris en charge le ministère de la Santé sans être député et s'y est consacré de toute son âme, avec toutes ses capacités.
Le Dr Bitar oeuvrait comme si le sauvetage du Liban de toutes
les calamités qui sont retombées sur lui depuis l'époque des ottomans et du mandat français incombait à lui et à lui
seul.
Il avait en lui cette inspiration qui jaillit en Saint Charbel, en la bienheureuse Rafka ou en père
Hardini.
Il portait en lui la grandeur des cèdres, le parfum de la vallée de Qannoubine, tout comme les anciens
patriarches.
Il a montré tout
cela quand il a senti que ses compagnons du ministère l'abandonnaient, alors il a demandé, seul, la confiance de la Chambre
et l'a obtenue. Puis il a rencontré de nombreuses difficultés qui l'ont mené, finalement, à abandonner totalement le pouvoir.
Le Dr Emile Bitar pensait que la seule voie valable dans le domaine politique est la voie démocratique, qui ne
réalise pas toutes les ambitions de celui qui l'emprunte.
Il était déterminé
à n'emprunter que cette seule voie. S'il était réformiste, il n'était point subversif, il s'est accroché à sa profession qui
le conduirait, disait-il à son but, par l'intermédiaire de la science. Il prônait la médecine qui sait préserver la vie de
l'homme.
Il voulait que le Liban réalise ses ambitions, grâce à lui ou à d'autres. Des
ambitions pour le Liban et non pour des individus. Tel était, à son avis, le voeu de ceux qui sauveraient le Liban.
Que Dieu ait son âme, cette âme si riche en qualités et en esprit de sacrifice.
Edouard Honein, député, ancien ministre
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