Le 8 février 1988, à l'aube, Emile Bitar décède à l'âge de 56 ans, des suites
d'une longue maladie. Le Liban est alors un pays en guerre, occupé, divisé, morcelé, un pays où se combattent des milices
confessionnelles soutenues pour la plupart par tel ou tel pays étranger, un pays où la démocratie semble avoir définitivement
rendu l'âme. Dans ce contexte, la mort du médecin, qui dans l'avant-guerre, avait diagnostiqué les multiples maladies dont
souffrait la société libanaise et qui avait inlassablement mis en garde contre les risques d'embrasement, de déflagration
et de morcellement du pays, la mort de l'ancien ministre réformateur qui avait préféré perdre son poste plutôt que son âme,
qui avait démissionné plutôt que de renoncer à mettre en oeuvre ses idées et ses programmes, la mort d'un homme intègre, d'un
humaniste et d'un démocrate retiré de la politique active depuis que les armes avaient pris la parole, eut naturellement pu
passer inaperçue, les citoyens étant occupés à assurer leur survie au quotidien, les journaux remplissant leurs pages des
faits d'armes, des cessez-le-feu intermittents et des infructueux va et vient diplomatiques. Et pourtant, la disparition d'Emile
Bitar a soulevé au Liban un véritable vague d'émotion et dans les semaines qui ont suivi, d'innombrables témoignages apparurent,
soulignant que, malgré tout, peut-être n'avait-il pas prêché dans le désert, peut-être que toutes ses luttes d'avant-guerre,
ses espoirs de démocratie, de justice sociale et de paix permettraient un jour de repartir à zéro, de reconstruire le Liban, de
le reconstruire sur des bases saines et solides.