Cent ans de Radiologie au Liban
Par
le Dr.Fouad.N.Boustany
Professeur Honoraire à la Faculté de Médecine de l'USJ
J'ai le privilège de vous conter une rapide histoire de la Radiologie au Liban, et d'évoquer le souvenir de nos aînés vivants ou disparus,
pionniers héroïques, « Maitres du
théâtre d'ombres et producteurs de lumières » comme disait Roger Godel. Belle définition des premiers radiologistes.
Je voudrais rappeler combien leur action fut généreuse et créatrice. Combien leur courage nous permet aujourd'hui de nous
retrouver et de retrouver leur exemple enfoui en nous comme un écho dinfini. Radiologistes de cette fin de siècle, enivrés
de technique, nous regardons vers eux comme jadis les marins regardaient le cadran solaire du phare des Madères sur lequel
est gravé cette inscription : « Les
heures passent, chacune apporte une espérance ». Cette espérance léguée par eux
nous a permis de devenir ce que nous sommes, un pays doté des meilleurs installations comme des meilleurs spécialistes.
Il me vient ici à l'esprit cette pensée de Corvisart « La vraie folie de ce temps est de prétendre ignorer nos aînés, agir
sans leur exemple, espérer vivre sans leurs leçons.Comme ceux qui vivent le plus, ne vivent que fort peu, un médecin doit
ajouter à sa vie celle de ses Maîtres . Le vrai médecin est celui qui sait lire dans le souvenir de ses aînés comme dans
le regard de ses patients. »
On a écrit peu de choses sur l'histoire de la Radiologie au Liban. Je demande par avance pardon à ceux
de nos aînés qui seront oubliés dans mon exposé. Aussi ai-je essayé de placer
nos anciens dans leur temps comme dans leur géographie. Temps héroïques,où la plupart d'entre eux sont des étrangers venus
au Liban en mission, manipulant des machines archaïques : une simple ampoule de Crookes, nue, un écran fluorescent et
quelques plaques sensibles. Lorsque le cabinet n'était pas desservie par le courant électrique, on chargeait la dynamo à la
manivelle. Ces appareils provoquaient incidents et accidents aussi nombreux que les radiographies obtenues, avec leur cortège
de radiodermites, d'irradiations dangereuses, d'explosions dampoules au nez des patients et devant des médecins bardés de plomb comme des extraterrestres. J'évoque ces faits avec d'autant plus de fierté
que je les cite en pensant à mon Maître Paul Ponthus, Professeur aux Facultés de Lyon et de Beyrouth, Membre correspondant
de l'Académie de Médecine, ancien directeur de lInstitut de Radiologie et de lutte contre le Cancer, fondateur de la première
Société Médicale Libano-Française,commandeur de l'Ordre du Cèdre et de la Légion d'honneur et surtout homme au grand coeur à qui beaucoup de radiologistes libanais doivent leur formation et leur carrière.
J'évoquerai successivement le cheminement de la radiologie universitaire puis celle de la radiologie de
ville :
Du côté de l'Université Américaine :
Deux ans après la découverte de Roentgen en 1895, fut installée dans le laboratoire de biologie de l'école
de médecine, une machine rudimentaire améliorée en 1899 et manipulée par des généralistes occupés à regarder des squelettes
et des corps étrangers, avec des temps d'exposition de quelques minutes à quelques heures..En 1900 et1902 furent installés
des appareils de RX à lHôpital St Jean de Prusse,puis à l'Hôpital Maurice Rotier, affiliés à lécole de médecine. En 1903,
le Dr.Arthur Bacon prit en charge la radiologie de l'hôpital universitaire aidé par Brahim youssef Succar (Abou Amaal), technicien
émérite qui réalisa une des premières radiographies du thorax au Liban.
En 1907, le Dr.Nader Kaddoura prit la relève en tant qu'assistant non spécialisé.En 1910, le Dr Toufic
Hajjar fut envoyé à Paris pour se spécialiser et revint en 1912 pour exercer pendant deux ans et émigrer ensuite en Egypte.
De 1913, pendant et après la guerre et jusqu'en 1931,cest le Professeur Edward St John Ward qui s'occupa
de la radiologie. Il était en même temps dean de lécole de médecine, professeur de chirurgie, de pharmacologie et de physiologie
et devint en 1924 professeur de radiologie. Il avait de plus une clinique en ville, station Graham,et fréquentait l'Orient
Hospital du Dr.Sami Haddad,où sont conservés les deux premiers rapports écrits
de radiologie.
De 1931 à 1934, le professeur Kingsley Blake prit la direction du service à l'AUB, suivi par le Dr.Albert
Oppenheimer de 1934 à 1944 .En 1938, les Drs William Shéhadé et Georges Saleeby furent nommés assistants et en 1946 vint
le Professeur Richard Kegel, puis en 48 le Professeur Kurt Greineder et en 1950 le Dr.Lennard Giaccai .Georges Saleeby prit
la direction du service pendant deux ans, puis vint le Professeur Sylvanus Morton. Plus tard vinrent nos amis Rafic Melhem,
Philippe Issa, Naïm Atallah et Ghassan Rizk..
Du côté Français : A l' école Française
de Médecine, les pères de la Compagnie de Jésus furent au début du siècle les premiers radiologistes. Le Rev. Père Maurice Collangettes réalisa en 1900 et en 30 minutes
une première radiographie du thorax. Il a été jusquen 1925 titulaire de la chaire de physique. Lampoule avec laquelle il travaillait
était conservée à la Faculté de Médecine jusqu'aux évènements de 1975. Il est probable quavant ou avec lui,les Rev.Pères Marcellier
et Gauthier manipulèrent des appareils de RX à l'Hôpital du Sacré-Cur (Khandak el Ghamik) ainsi que les médecins et chirurgiens
de cet hôpital.
La radiologie francophone prit véritablement son essor en 1925 avec la création de l'Institut de Radiologie
et de lutte contre le Cancer inauguré par le Professeur Regaud de l'Institut du radium de Paris. Le Dr.Lemarche en fut le
premier directeur, remplacé en 1934 par le Professeur Chaumet qui inaugura les premiers cours de radiologie et de radiothérapie.
Le Rev. Père François Dupré La Tour lui succeda en 1941, puis le Prof Joseph Jalet en 1943. De
1946 jusquen 1975, l'Institut fut dirigé par mon Maître Paul Ponthus, grand batisseur et organisateur à l'immense talent. Il me faut ici saluer la mémoire du Dr.Afif Berbir qui assista le Professeur Ponthus
pendant une vingtaine d'années.avec un dévouement à toute épreuve. Il me faut aussi saluer le passage à l'Institut du Prof.Edouard
Stephan, qui s'occupait particulièrement de radiologie cardiaque. Je fus moi-même nommé assistant en 1956 puis vinrent successivement
mes amis Fathi Homsi, Zahi Hakim, Halim Saad, les Dr.Jean et Joseph Haddad, le Dr.Riad Ghorra et le Prof.Sami Tohmé qui pratiquait
la neuro-radiologie. Pendant ces années de nombreux hôpitaux furent implantés en ville avec dexcellents services de radiologie.
En ville :La première installation
de RX est probablement celle des Drs Hajj et Youssef Charabié en 1912, dans un petit appartement, rue du fleuve. L'appareil
fut confisqué par loccupant Ottoman pendant la grande guerre.Après la grande guerre, Beyrouth a vu l'implantation de nombreuses
cliniques dont les plus connues sont celles du Dr.Nader Kaddoura à Assour (1924); celle du Dr.Zoego en 1923 à Hawouz el Saatié,
celle du Dr Greineder adossée à lhôpital St Charles,celle du Dr Joseph Asmar,rue de Damas,celle du Dr.Varjabédian,(1938),
station Graham. Je dois aussi nommer les installations en province des Sanatorium de Bhannès,de Azounié,de Daher El Bachek
et à Saida,celle des cliniques des Drs Fouad Osseiran et Nabih El Shaab.
D'une radiologie élémentaire jusqu'à la grande guerre, la radiologie au Liban a subi dès 1925 une évolution
rapide. On pratiquait dès 1928 la cholécystographie orale et la radiologie digestive et urinaire.Après 1945 furent pratiquées
les premières aortographies translombaires, les artériographies et phlébographies sériées,et les fines tomographies.En 1950
furent réalisées,simultanément à lInstitut de Radiologie et à lOrient Hospital les premières lymphographies et pneumo-rétro-péritoines.
En 1954 nous avons pratiqué les premières cholangiographies I.V et les pelvigraphies gazeuses avec le Dr.Robert Misk. Le premier
amplificateur de brillance fut installé en 1963 suivi de la radio-cinéma et des circuits télévisés. Puis rapidement commenca
lère de limagerie médicale avec les scanners (le premier scanner cérébral fut installé à l'Hôtel-Dieu en 1978 par le Dr.Sami
Tohmé les échographes et la résonnance magnétique. Notre parc radiologique est actuellement impressionnant : 20 IRM,55
CT scan,(et quelques scan seconde- main) 20 tables dangio-cathéter,14 scan de médecine nucléaire,6 centres de radiothérapie,4
centres daccélérateurs nucléaires,et beaucoup denthousiasme...
Radiologistes, nous avons maintenant entre les mains un appareillage merveilleux et performant, télécommandé,
computérisé, magnifiquement carrossé. Nous avons des services lumineux,vastes, conditionnés, bientôt reliés entre eux et avec
le monde entier par l'image et le son. Nous vaquons à notre travail, légers, libres, écoutant de la musique, occupés à presser
des boutons et regarder des écrans et des images à trois dimensions. Pour ceux d'entre nous qui ont suivi ce cheminement,
émerveillés, ivres comme des pilotes au volant de leur bolide, l'oubli a effacé le souvenir de nos ainés, leur aventure pleine
de risques ,de témérité et de courage.Cest parce nous sommes aujourdhui captivés par nos techniques, rivés à nos écrans que
je termine ma petite histoire de la radiologie libanaise par cette réflexion de Georges Duhamel dans son ouvrage : « Grandeur et périls de la Médecine » :
« Je ne me défie pas de la
machine merveilleuse que je regarde avec admiration sur son socle. Je ne me défie pas du nombre des machines. Je me défie
de ma façon d'employer les machines, de multiplier les machines, de faire abus des machines. Je me défie de l'influence que
peuvent exercer sur moi ces créatures métalliques.Je me défie de la machine qui est en moi. Car je veux rester homme et humain. »
Rester hommes et humains, c'est ce que je souhaite à tous mes confrères, jeunes et âgés, pour affronter
les dérives possibles d'une profession la plus noble, dans la fidélité au passé et dans la foi en notre avenir.
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